Von Marie-François Berrouard.
Dilige et quod uis fac
Dieser Artikel wurde dem beim Schwabe-Verlag in Basel erscheinenden Augustinus-Lexikon 2 (1996-2002) 453-455 entnommen. Dieses weltweit renommierte und auf rund 1.200 Stichwörter geplante Lexikon bietet umfassende Informationen zu Augustins Leben, Lehre und Werk.
Souvent citée inexactement, plus souvent encore mal interprétée, cette célèbre formule d’A. a été prononçée par lui dans l’ep. Io. tr. 7,8 qu’il a prêché aux nouveaux baptisés et aux fidèles d’Hippone, le matin du samedi de Pâques 407 [1]. Dans un même contexte de pensée, il avait déjà écrit dans l’exp. Gal. 57: «dilige et dic, quod uoles» et il redira en 410 en s. Frangip. 5,3: «dilige, et quicquid uis fac» [2].
De par la simplicité de son vocabulaire et de sa facture, c’est la première formule qui a retenu toute l’attention et qui est constamment répétée. Oubliant qu’elle fait partie d’un enseignement sur la charité, certains l’ont invoquée soit en faveur de thèses laxistes, soit pour cautionner la morale de situation [3]. S’appuyant inconsciemment sur son premier mot, des auteurs ont identifié dilection et amour de Dieu [4]; il est pourtant manifeste qu’A. ne vise directement ici que l’amour fraternel, comme le prouvent indiscutablement aussi bien le développement dans lequel il insère sa sentence que la conception qu’il se fait de 1 Io (cf. ep. Io. tr. prol.; 5,4.7; 8,14; 9,1) et le commentaire qu’il en donne tout au long de ses homélies (cf. ib. 8,4) [5] (↗Dilectio, 2, 439).
Gallay précise que la controverse antidonatiste est le contexte dans lequel il faut lire la phrase et que celle-ci «est, ni plus ni moins, une justification des mesures de répression contre le Donatisme» [6].
Cette étude rigoureuse mérite toute considération, mais elle insiste par trop sur l’application la plus paradoxale qu’on puisse faire de la maxime et elle paraît trop unilatérale. Poque montre en effet que les ep. Io. tr. 7 et 8 ont été prêchés le même samedi de Pâques et qu’ils font référence, tous les deux, à la lecture d’un long passage de Mt 5 et 6 (cf. ep. Io. tr. 7,1; 8,2.4). A. révèle donc ainsi qu’il entend compléter ce jour-là l’instruction morale des néophytes en leur parlant de la charité [7].
Relue ainsi dans son contexte immédiat et à la lumière des données précédentes, il apparaît que la formule a reçu des modernes qui en ont fait un slogan une importance exagérée. Elle n’a absolument rien en tout cas d’un appel au laxisme qui ouvrirait la porte à toutes les fantaisies; elle s’intègre parfaitement au contraire dans un enseignement sur la charité fraternelle, sa valeur et ses exigences, ses attitudes et ses devoirs [8].
A. y proclame une fois de plus le primat de la charité qui doit se trouver à la racine de tout l’agir chrétien, mais il ajoute aussitôt une précision des plus importantes pour la pratique: cette même charité peut inspirer en effet au cœur du fidèle des comportements aussi différents que la miséricorde ou la sévérité, le silence ou la protestation, la correction ou l’indulgence et qui, tous cependant, doivent être commandés par l’amour vrai et généreux du prochain, tenant compte, chaque fois, des personnes, des situations et des moments. «semel ergo breue praeceptum tibi praecipitur, dilige, et quod uis fac: siue taceas, dilectione taces; siue clames, dilectione clamas; siue emendes, dilectione emendas; siue parcas, dilectione parcis: radix sit intus dilectionis, non potest de ista radice nisi bonum existere» (ep. Io. tr. 7,8).
Le premier mot de la sentence est un impératif qui ne laisse place à rien d’autre que la charité, car elle constitue toute la substance des Ecritures et en formule la «generalis iussio: diliges» (perf. iust. 11). La seconde partie confie au chrétien le soin d’exprimer sa dilection dans ses actes avec toute la prudence de son esprit et toute l’inventivité de son cœur: «et quod uis fac» (ep. Io. tr. 7,8).
Notes. – [1] Cf. ci-dessous et [7]. – [2] Cf. aussi Clerici 58-63 («Testi paralleli»: ep. Io. tr. 10,7: «dilige, non potest fieri nisi bene facias» (cf. ib. 58sq.); s. 56,17: «fac quod uis» (cf. ib. 60-62)). – [3] Cf. Bourke, qui critique cette dernière utilisation. – [4] Martin 224sq.; Gilson 182. – [5] Tiennent résolument pour cette seconde interprétation Comeau 359sq.; Mellet 311; Gallay 546sq.; Agaësse 80sq.; Clerici 65. – [6] Gallay 549; cf. aussi Clerici 54-57.61sq. – [7] Poque 232-236. – [8] Amadei 147-149; Liébaert 77-79.
Bibliographie. – P. Agaësse, Introduction: Saint Augustin, Commentaire de la première Epître de s. Jean (SC 75), Paris 1961, 7-102. – M.-L. Amadei, Le Docteur de la charité: Augustin. Le message de la foi, Paris 1987, 139-152. – J.B. Bauer, «Dilige et quod vis fac»: WW 20 (1957) 64sq. – V.J. Bourke, Saint Augustine and Situationism: Augustinus 12 (1967) 117-123. – A. Clerici, Ama e fa’ quello che vuoi. Carità e verità nella predicazione di Sant’Agostino, Palermo 1991. – M. Comeau, Saint Augustin exégète du quatrième évangile, Paris 21930. – J. Gallay, Dilige et quod vis fac. Notes d’exégèse augustinienne: RechSR 43 (1955) 545-555. – E. Gilson, Introduction à l’ètude de saint Augustin, Paris 1982 (ib. 21943). – A.-M. La Bonnardière/J. Fontaine, Quelques maîtres mots d’Augustin: Saint Augustin et la Bible, Paris 1986, 447-462, en particulier 451. – J. Liébaert, Ancienneté et nouveauté de l’amour chrétien du prochain selon les Pères de l’Eglise: MSR 45 (1988) 59-82. – J. Martin, Saint Augustin, Paris 1901. – M. Mellet, Saint Augustin prédicateur de la Charité fraternelle dans ses commentaires sur saint Jean: VSp 73 (1945) 304-325.556-576; 74 (1946) 69-91. – S. Poque, Les lectures liturgiques de l’octave pascale à Hippone d’après les traités de s. Augustin sur la première Epître de s. Jean: RB 74 (1964) 217-241.
Marie-François Berrouard